Le Delémontain Yannick Barthe, chasseur d’images dans la 3e dimension
Interview publié dans le bulletin de la société jurassienne des officiers No. 39, Février 2023.
Propos recueillis par le col Hervé de Weck.
Yannick Barthe, chasseur d’images, est un des précurseurs en Suisse de la captation d’images aériennes par drone, un réalisateur spécialisé dans les prises de vues aériennes et les films d’aviation. Il effectue en 2006 son premier vol en tant que réalisateur auprès des Forces aériennes suisses sur les Alpes bernoises, à l’occasion d’une démonstration des Forces aériennes à l’Axalp. Il n’aura pas la chance de voler en F/A-18. En revanche, il filmera cet appareil depuis le sol, installant des caméras embarquées sur l’avion du solo display des Forces aériennes. Il a donc volé uniquement sur F5 Tiger et Super Puma et Cougar.

Bulletin SJO : Yannick, expliquez-nous comment vous est venue cette passion ? Avec quels moyens techniques avez-vous débuté dans ce domaine très particulier ?
Yannick Barthe : Avant d’être un passionné d’aviation, je suis d’abord un passionné d’images aériennes. Intéressé par le cinéma et la photographie depuis mon plus jeune âge, je me souviens que je passais des heures à regarder les atlas de géographie, j’ai toujours cherché à regarder la Terre depuis le ciel, cela me fascine. Tout a véritablement commencé lorsque mon frère Steve a commencé l’aéromodélisme dans les années 2000 et que j’ai pu équiper ses avions radio-commandés avec des caméras miniatures. Si le potentiel était bien là, la qualité était très loin de ce qu’on peut faire aujourd’hui avec un simple téléphone portable. Nous avons ensuite construit des prototypes d’hélicoptères télécommandés afin de pouvoir embarquer des appareils photos professionnels que je pouvais déclencher depuis le sol. À cette époque, les drones qu’on connaît aujourd’hui n’existaient pas encore. Une fois qu’on travaille avec les modèles réduits, il est assez évident que l’étape suivante est de pouvoir embarquer soi-même. C’est donc en toute logique que j’ai commencé à fréquenter les meetings aéronautiques et à m’approcher de l’aviation grandeur nature.

Bulletin SJO : En plus de quinze ans d’expérience et nombre de mandats pour des industriels, des compagnies d’aviation et des patrouilles aéronautiques (Forces aériennes suisses, Armée de l’air française, FAI, Honda, CNN, NHK, RUAG, Sphair, Helvetic Airways, Breitling), vous vous faites un nom dans le milieu de l’aviation. Dans des conditions extrêmes, vous tournez aux côtés des pilotes, afin de capter des images inédites en ultra haute définition. Pouvez-vous dire à nos lecteurs ce qu’est votre travail, votre aventure ?
Y.B. : Mon travail consiste à capturer les évolutions de tous types d’aéronefs (avion, hélicoptère, planeurs, montgolfière, warbird 1, voltige aérienne, jet militaire, etc.). Je filme ces machines volantes en embarquant à bord, depuis un sommet de montagne ou depuis le sol avec un bon trépied et des téléobjectifs. Je travaille, soit en freelance sur des meetings aéronautiques en capturant ce que je trouve intéressant et ensuite je vends mes images à des clients privés ou à des studios de production (principalement aux États-Unis et au Japon), soit je réalise des mandats pour des clients privés, des entreprises, des compétitions, des meetings aériens ou des forces aériennes. Avec mes drones, j’ajoute encore une palette de mandats de photographies aériennes pour des suivis de chantier, de l’éclairage public, de l’architecture ou des suivis environnementaux. Mon terrain de jeu, c’est le ciel !
Bulletin SJO : Comment ces films-reportages sur des forces aériennes sont-ils diffusés ? Peut-on parler de succès en Suisse et à l’étranger ?
Y.B. : Le travail que j’ai réalisé pour les forces aériennes avec le F/A-18 Solo Display et la Patrouille suisse consistait à documenter les démonstrations publiques en Suisse et à l’étranger pour en faire des vidéos, afin d’alimenter les chaînes Youtube, les applications mobiles et les réseaux sociaux des teams de démonstration. Ces vidéos ont rencontré un franc succès auprès du public et des passionnées. Cela permet aussi aux pilotes de partager leur travail et les sensations qu’ils vivent dans leur cockpit avec leurs familles, leurs enfants et leurs amis. Ce travail m’a aussi permis d’être reconnu par les pilotes des patrouilles étrangères et j’ai pu collaborer avec des forces aériennes étrangères, notamment sur le Rafale Solo Display avec lequel j’ai pu tourner quelques vidéos. Pour information, les appareils de démonstration des solos displays étant souvent des monoplaces, il n’y a aucune possibilité d’embarquer un cameraman en back-seat.
Bulletin SJO : En 2012, vous devenez réalisateur officiel des films de la Patrouille suisse, après un premier tournage, lors d’un meeting aérien à Bodo en Norvège. Votre travail est-il différent par rapport à ce que vous faisiez précédemment ?
Oui, mon travail a réellement changé en 2008, car j’ai pu passer de l’autre côté de la barrière dans les meetings aéronautiques et filmer en faisant partie de l’équipe du team de démonstration avec les mécaniciens et les pilotes. J’ai commencé par filmer les opérations de vol d’Espace Passion avec le Hunter et le Mirage III. J’ai pu réaliser quelques vidéos pour le Musée Clin d’Ailes de Payerne avec, entre autres, Claude Nicolier. Un magnifique souvenir et une très belle expérience ! Ensuite, en 2012, j’ai eu la chance de pouvoir suivre « Deasy », le pilote du F/A-18 Hornet Solo Display, cela a été ma première expérience en tournage immersif avec les Forces aériennes suisses. Quand j’ai commencé ma carrière de vidéaste dans le domaine aéronautique, approcher la Patrouille suisse semblait un rêve inaccessible. Finalement, après un travail intense pour me faire une place dans ce milieu, c’est en 2012, lors d’un meeting aérien en Norvège, alors que je travaillais avec « Deasy » sur le film du F/A-18 que j’ai rencontré les pilotes de la Patrouille suisse, entre autres Gaël Lachat le pilote jurassien. J’ai commencé ma collaboration avec la célèbre patrouille helvétique, devenant leur cameraman et réalisateur attitré. Filmer en immersion une des meilleures patrouilles sur jets militaires au monde a été un énorme privilège et une grande fierté. J’ai eu la chance de vivre et de capturer des moments inédits que j’ai partagés avec le public : vous pouvez ainsi découvrir des vues inédites des cockpits, l’envers des décors avec la préparation des avions, les moments de concentration lors des briefings avec les pilotes et, pour la première fois, des images en slow-motion et des images en ultra haute résolution 4K. En plus de vivre des tournages très intéressants avec des voyages dans plusieurs pays, c’était aussi et surtout une magnifique aventure humaine avec les pilotes et toute l’équipe : le sommet de ma carrière de réalisateur de films aéronautiques.

Bulletin SJO : Dès 2016, vous travaillez à un livre de grand format, DE L’AIR. Balade lumineuse à Delémont avec une sélection de photographies originales prises par drone et depuis le sol, agrémentées de textes de la Jurassienne Camille Ory. À fin février 2021, l’ouvrage est épuisé.
Y.B. : Après la naissance de ma fille et des centaines de voyages et de tarmacs foulés, j’ai décidé de m’octroyer un peu de temps pour respirer et être présent pour ma famille. J’ai recentré mes travaux dans la région et j’ai commencé un travail personnel sur le projet « DE L’AIR. Balade lumineuse à Delémont » avec la sortie de mon premier livre, un héritage photographique inédit en grand format pour les générations actuelles et futures de ma ville natale. C’était aussi l’occasion de faire profiter les Delémontains de mon expérience en photographie aérienne.
Bulletin SJO : Dans la foulée, vous réalisez un film d’environ 5 minutes sur la capitale de la République et Canton, Delémont vu du ciel. Vos images, résultats de cinq cents tournages, sont magnifiques, vous arrivez même à rendre poétique le brouillard qui, souvent, recouvre la région ! Les organisateurs de l’assemblée des délégués de la Société Suisse des Officiers, qui s’est tenue à Delémont en 2021, l’ont présenté en ouverture de la partie statutaire à des camarades venus des quatre coins du pays… Quelles étaient vos intentions ? La Ville de Delémont, voir le Canton ont-ils fait l’acquisition de ce film, l’utilisent-ils pour leur promotion ?
Y.B. : Mon travail sur le projet de Delémont était principalement axé sur la photographie mais j’ai aussi profité de chaque vol avec mes drones pour capturer des séquences vidéos. Je me suis retrouvé avec une belle quantité d’images filmées en ultra haute définition 4K. J’ai d’abord cherché des financements et des partenaires pour réaliser un vrai film documentaire, mais je n’ai pas trouvé ce qui correspondait à mes attentes. J’ai alors simplement édité une vidéo de cinq minutes que j’ai publiée sur Internet pour faire la promotion de mon nouveau livre. Je travaille beaucoup avec la ville de Delémont et le Canton du Jura sur des projets photographiques mais ils n’ont pas manifesté d’intérêt pour ce film. On dit souvent que nul n’est prophète en son pays… Aujourd’hui, des associations ou entreprises m’achètent des droits d’utilisation pour exploiter cette vidéo.
Bulletin SJO : Depuis 2016, vous possédez votre maison de production. Permettez-nous une indiscrétion… Êtes-vous satisfait de la marche de vos affaires ? Si nous sommes bien renseignés, vous travaillez encore à temps partiel chez BKW comme chef de projet.
Y.B. : Bien qu’étant actif comme indépendant dans le domaine depuis de nombreuses années, j’ai dû créer une raison sociale, afin de pouvoir répondre à des demandes de mandats d’entreprises, qui touchaient au domaine des marchés publics. Oui, vous êtes bien renseignés, malgré l’évolution positive de ma carrière dans le monde de la vidéo, je n’ai jamais lâché mon travail dans l’industrie que j’exerce avec ma formation d’ingénieur. Le travail de réalisateur de films aéronautiques fait rêver, j’ai des mandats réguliers dans l’aéronautique ou avec les drones et je suis très reconnaissant de ce que j’ai pu accomplir dans ce domaine. Cela fait partie des expériences les plus riches de ma vie. À un certain moment, quand on passe d’une passion à un business, l’équilibre Work Life Balance est quelque peu chamboulé, car la passion implique un travail très exigeant, un train de vie effréné et, parfois, de très courtes nuits. Ce que je pouvais supporter à vingt ans, je n’ai plus forcément envie de le vivre aujourd’hui à quarante. Si je souhaitais continuer à travailler uniquement dans le domaine de la vidéo aéronautique sans accepter des jobs alimentaires dans d’autres domaines, le marché suisse n’était pas suffisant et il fallait accepter des mandats à l’étranger. Après quelques expériences, j’ai dû décider si je voulais prendre définitivement ce virage. Passer ma vie dans des chambres d’hôtels de tarmac en tarmac, trimbaler du matériel entre les aéroports, oui, c’est génial un moment quand on est jeune. J’ai fait mon choix. Avec mon travail de salarié comme ingénieur et seize ans d’expérience dans le domaine, j’assure une sécurité et une qualité de vie pour ma famille. La pandémie du Covid-19, avec tout le secteur de l’aviation en pause durant deux ans, m’a donné raison. Avec mon entreprise de production de films, j’ai la liberté d’accepter uniquement les mandats sur lesquels j’ai envie de travailler et je me paie le luxe de fixer mes tarifs et mes conditions sans n’avoir rien à perdre. Cela me permet d’entreprendre des projets personnels sans aucune pression financière, également de me réserver du temps libre pour d’autres passions qui sont toutes autant importantes pour moi, comme le sport et le triathlon.

Bulletin SJO : Vous, le pilote de drone, pensez-vous qu’il est nécessaire de réglementer plus sévèrement l’usage de ces engins de plus en plus grand public ou faut-il tabler sur le bon usage de la liberté individuelle ?
Y.B. : Je n’aime pas forcément le mot « sévèrement », mais il est vrai qu’un cadre de sécurité et le déploiement à grande échelle de la technologie permettant aux aéronefs et aux drones de se détecter mutuellement dans l’espace aérien apparaissent très nécessaires aujourd’hui. Il y a beaucoup de drones en circulation et je pense qu’une grande partie des pilotes ne mesurent pas toujours les dangers et les risques de voler avec ce type d’appareils.
